Réformes hospitalières Impact sur la santé

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En 1983, chaque établissement reçoit une enveloppe budgétaire fixée à l’avance, en fonction d’un « taux directeur », lequel devra y faire entrer l’ensemble de ses dépenses : c’est le fameux « budget global ». Cette enveloppe s’accompagne de l’instauration du « forfait journalier », contribution quotidienne non remboursée par l’Assurance Maladie, dont le patient (ou son assurance complémentaire) doit s’acquitter. Une brèche est ainsi ouverte dans la gratuité des soins hospitaliers. Le forfait journalier n’a cessé d’augmenter.

En 1991, la Loi Evin impose aux établissements publics l’élaboration d’un « projet d’établissement » et instaure les Schémas Régionaux d’Organisation Sanitaires (SROS) renouvelables tous les 5 ans, sur la base desquels les préfets pourront fermer des lits et restructurer les établissements. Cette loi permet le développement de « coopérations » entre les secteurs publics et privés.

Puis arrive le Plan Juppé en 1995, basé sur la maitrise des coûts pour mieux privatiser. Deux axes prioritaires sont tracés :

– l’un sur le vote d’une enveloppe nationale fermée des dépenses hospitalières, dans le cadre de la Loi de financement de la Sécurité sociale (ONDAM hospitalier) ;

– l’autre pour imposer l’austérité budgétaire et des restructurations : le Plan Juppé met en place les Agences Régionales de l’Hospitalisation (ARH) qui ont autorité tant sur les établissements publics que privés et dont les directeurs détiennent les pleins pouvoirs pour attribuer les budgets et les autorisations, notamment celles de fermer les établissements, d’imposer les regroupements et les privatisations. En structurant le système public, cette dérive libérale ouvre la voie à sa privatisation.

En 2000, c’est la mise en place des 35 heures qui, en 2001-2002, se heurte à la politique d’austérité. Dans les établissements où le manque de personnels est déjà criant, le passage aux 35 heures, sans les 10 % d’embauches correspondantes, créé une situation de crise. Cette mise en place se fait avec des accords locaux, plus ou moins favorables selon les rapports de force. En l’absence de recrutements suffisants, l’application des 35 heures aboutit à une intensification du travail et à la dégradation des conditions de travail. Les journées de Réduction du Temps de Travail (RTT) sont la seule compensation tangible ; cela démontre bien que le manque de personnel est une conséquence de l’austérité et non de la réduction du temps de travail.

Le plan Hôpital 2007 permet des investissements et instaure une organisation sanitaire, une nouvelle tarification et une réforme de la « gouvernance » hospitalière. Ce plan transforme rapidement et en profondeur le paysage hospitalier. Des investissements sont accordés aux établissements privés et publics en contrepartie de restructurations, de fusions ou de la mise en place de coopérations public-privé. La « tarification à l’activité » dite « T2A » remplace, dans les hôpitaux publics, le « budget global ».

De fait, chaque établissement public ou privé est ainsi financé en fonction de sa production d’actes de soins et de sa rentabilité. Il faut produire un volume d’actes de soins suffisant, diminuer les coûts, donc faire plus avec moins. Les dépenses de personnel qui représentent 70 à 80 % des dépenses hospitalières sont logiquement les premières visées par cet effort de « productivité ». C’est un système d’incitation à la sélection des malades et à celle des pathologies soignées. C’est aussi la mise en concurrence de l’hôpital et des cliniques privées, alors que les missions de service public ne sont pas prises en compte.

Pour financer ses investissements, l’hôpital doit fonctionner comme une entreprise :

– soit « dégager des marges » sur ses dépenses de fonctionnement en accroissant la productivité du travail et donc, en intensifiant le travail du personnel, en ayant recours à des modes de gestion utilisés dans l’industrie, tels que le « lean management ».L’importation dans les services de ces « nouveaux » modes de management, modifie la façon de travailler des personnels et du fait de l’impact qu’ils peuvent avoir sur leur investissement professionnel sont susceptibles de majorer la survenue de troubles musculo squelettiques ; ils peuvent également générer l’émergence de facteurs de risques psycho sociaux.

– soit s’endetter auprès des banques. Dans ce cadre, un certain nombre d’établissements ont souscrit des emprunts toxiques, générant des situations financières critiques.

Avec la mise en place des « pôles », certains médecins deviennent des « managers », récompensés par des primes. Ils sont impliqués dans les résultats de la gestion de l’hôpital, en tant que chefs de pôle, sans formation préalable à l’encadrement, d’où l’émergence de nombreux dysfonctionnements, aussi bien dans l’organisation que dans la gestion des services : consignes paradoxales, abus d’autorité, absence de reconnaissance, détérioration de l’ambiance de travail (iniquité, compétition…). Chacun de ces facteurs est susceptible de générer des Risques Psycho Sociaux – (RPS).

La création de ces pôles installe une polyvalence généralisée du personnel, au sein d’entités beaucoup plus vastes que les services. Elle est généralement synonyme de glissement de tâches, dont les conséquences sur le personnel peuvent être pénales et sont sources de stress supplémentaire car soit il effectue ces actes qui peuvent le placer hors la loi, soit il refuse, des pressions peuvent alors être exercées à son encontre.

Avec la Loi Hôpital, Patients, Santé, Territoires (HPST) de 2009, les Agences Régionales de Santé remplacent les ARH. L’ARS garde l’autorité sur l’ensemble des établissements d’hospitalisation publics et privés. Elle étend son domaine de compétences à la médecine de ville libérale et au secteur médico-social. Elle assure l’organisation et l’articulation de ces trois secteurs dans chaque région du territoire national.

Pour accélérer la restructuration du secteur public hospitalier, la loi HPST prévoit la création de « communautés hospitalières de territoires ». Les pouvoirs du directeur sont renforcés, il décide seul de la gestion budgétaire de son établissement. Lui aussi reçoit des primes à hauteur de ses performances de résultats financiers. Mais il est en même temps confronté aux exigences de l’ARS qui peut le relever de ses fonctions s’il ne se montre pas assez efficace dans la mise en oeuvre de l’austérité. Le choix est clairement identifié : la priorité est donnée à la rentabilité à tout prix, au détriment de la santé du personnel et des usagers.

Les lois de financement de la Sécurité Sociale votées depuis 2012 n’ont cessé de diminuer le budget de l’hôpital public. Et aujourd’hui, c’est une purge encore beaucoup plus violente qui s’effectue avec le « pacte de responsabilité ». Les conséquences de cette politique sur les effectifs des établissements hospitaliers publics sont spectaculaires : 860 millions d’euros de « maitrise de la masse salariale », ce qui équivaut à 22 000 suppressions de postes supplémentaires (soit 2 % des effectifs de la fonction publique hospitalière) d’ici à 2017.

Enfin, la Loi Touraine rend obligatoire au 1er juillet 2016 l’adhésion de tout établissement public à un « Groupement Hospitalier de Territoire ». Il est prévu de lourdes sanctions financières, voire le retrait de l’autorisation d’activité pour les récalcitrants. En d’autres termes, on regroupe pour fermer et restructurer.

Le modèle inadapté de « l’hôpital-entreprise » a en premier lieu des conséquences sur les usagers, en ce qui concerne leur possibilité d’accès aux soins, ainsi que sur la qualité et la sécurité de ces soins. Il touche également les professionnels, qui sont confrontés à des conditions de travail, qui ne cessent de se dégrader. Ils considèrent de ne plus pouvoir faire leur travail de manière satisfaisante, voire même de mettre en danger les patients dont ils ont la charge.

La logique comptable d’occupation maximale des lits (un lit vide est un lit «non rentable» qui creuse le déficit) entre en contradiction avec l’exigence d’une disponibilité de lits et de personnels pour faire face à l’imprévu. Elle pousse aux fermetures massives de lits, d’établissements et de services de proximité qui aboutissent à une surcharge d’autres services, avec notamment l’ajout fréquent de lits dans les couloirs…

La généralisation de la polyvalence et de l’intérim désorganise le fonctionnement des services, elle réduit les temps de transmissions et d’échanges indispensables au travail en équipe et elle est source d’erreurs, qui seront ensuite imputées au soignant.

Le travail des soignants tend à être réduit à sa part purement technique, la plus standardisée possible, au détriment de toute dimension relationnelle, pourtant indispensable à la qualité des actes ; ce qui contribue à une déshumanisation du soin, la disparition d’un cadre collectif de travail et la perte de signification de ce travail, jugé comme insatisfaisant alors qu’on s’y épuise.

Le personnel soignant voit sa part d’activités administratives augmenter, avec une multiplication des procédures, des réglementations et des objectifs, parfois incompatibles entre eux, paralysant les personnels dans des situations susceptibles d’engendrer du mal être ou de la souffrance, au détriment du temps passé avec le patient : « on ne peut plus faire notre travail », « je n’ai plus le temps de leur parler »…

L’intensification du travail liée aux manques de personnels, aux horaires décalés, au travail en 12 heures et aux contraintes inadaptées au domaine d’activité, générant la suppression de repos, de congés et le rappel illégal du personnel, désorganise gravement la vie privée et familiale.

Les mauvaises conditions de travail engendrent des arrêts de courte durée, non pris en compte dans la politique de remplacement, qui alimentent le cercle vicieux de la dégradation de la vie au travail. Cela se traduit par des personnels sous traitement (médicamenteux et/ou psychologique), une augmentation de burn-out, et malheureusement en 2016, un nombre important de suicides ou de tentatives liés au travail et touchant toutes catégories professionnelles soignant ou non.

La précarisation, comme l’incertitude du maintien des emplois, tant dans le secteur public, que privé génèrent également un stress important avec des difficultés, voire l’impossibilité de se projeter dans l’avenir et de construire son existence.

Pour la CGT, le travail ne doit pas être une source de souffrance :  il doit redevenir un facteur d’épanouissement en partant de sa réalité avec les salariés, en prenant en compte la connaissance du fonctionnement des établissements sanitaires et sociaux. Il s’agit de construire un équilibre entre finalité, qualité du travail et santé. La santé n’est pas acquise : elle est l’objet d’une construction collective et individuelle dans un cadre social.

Il est indispensable que chacun se réapproprie son travail, et que collectivement nous échangions, partageons sur le sens que nous souhaitons lui donner, permettant ainsi, comme le dit Yves Clot, d’« être fier de son travail, car il n’y pas de bien être sans bien faire ».