Monsieur le ministre de la santé,
Nous profitons de votre déplacement dans notre département ce 18 novembre pour vous interpeler sur la situation plus que préoccupante que traverse, aussi, la psychiatrie…
Le démantèlement des services publics engagés ces dernières années n’en est que plus évident aujourd’hui.
De nombreuses fermetures de lieux de consultation en ambulatoire se sont succédées jusqu’à vider le cœur de ville de ces structures, repoussant professionnels et patients au cœur des zones commerciales au sein de mégastructures.
Dans ces super Centres Médico-Psychologiques (CMP), on ne peut que constater le manque de possibilité d’accueil, les délais pour un premier RDV sont de quelques mois, les délais pour une prise en charge régulière et effective sont non quantifiables.
Travailler en mode « dégradé » (terme employé par notre DRH) devient la norme, pour des patients parfois eux-mêmes fortement dégradés.
Pour certaines équipes trop en souffrance, on constate de nombreux et longs arrêts maladie. Ces conditions sont donc très loin de permettre un accueil satisfaisant pour les familles et leur enfant. Ajoutons également les demandes de RDV en urgence, multipliés ces 2 dernières années : Idéations suicidaires chez les adolescents, troubles du spectre autistique chez les plus jeunes.
Il reste quelques CMP qui fonctionnent correctement et qui peuvent satisfaire au mieux aux missions de service public, il s’agit des petites structures, au plus proche de la population, et faciles d’accès, notamment pour les patients en situation de grande précarité (économique, sociale, …). Il s’agirait peut-être de revoir l’implantation des lieux de soins, et s’attacher à préserver, développer ce qui fonctionne mais ce n’est ni le souhait de la Direction ni celui de l’ARS.
Les unités d’hospitalisation se spécialisent quant à elles, sous couvert de nouvelles techniques et approches psychopathologiques, et là, le « parcours patient » ressemble davantage au « parcours du combattant ».
Accéder à une prise en charge intra-hospitalière devient fortement compliqué et long.
Certaines personnes présentant une chronicité de leur pathologie peuvent se voir refuser un lit, faute d’avoir « été agressif » lors d’une précédente hospitalisation. L’accès à tous à des soins psychiatriques semble dernièrement fortement soumis au comportement des patients lors de leurs précédentes hospitalisations.
Alors que ces pathologies nécessitent tact et empathie, que les patients eux-mêmes connaissent (au fil du temps) parfaitement bien leurs troubles et demandent un lit lorsqu’ils ne peuvent plus faire autrement, leur prise en charge en hospitalisation ne va pas de soi, puisque d’après notre Direction sur 300 patients, 100 ne relèveraient pas de la psychiatrie … !?
L’offre de soin se réduit également lors des périodes estivales : 13 lits fermés en psychiatrie adulte cet été, allongement des durées de fermeture en hôpital de jour en pédopsychiatrie (combien d’enfants sans soin pendant 4 semaines ?). … Mais bien évidemment, cela « a tenu ».
A quel prix ? Certains patients faute de structure adaptée sont depuis presque 2 ans en isolement (même si récemment, nous avons été informés de l’ouverture en 2023 d’une structure adaptée sur le village Michelet de l’AEIM au plateau de Haye pour 6 patients de ce type du Grand Est …)
Les conventions avec les partenaires ne sont plus à jour et entrainent des difficultés voire des risques professionnels sur le terrain.
L’insatisfaction grandit inévitablement et inexorablement chez les soignants, provoquant ainsi de nombreux départs.
Au CPN, en 1 an, 27 praticiens hospitaliers ont fui l’établissement (dont 5 médecins sur 5 dans le service spécifique de l’UHSA), ajouté à la vingtaine de postes d’infirmiers non pourvus.
Au sein des unités d’hospitalisation, les professionnels sont contraints de pourvoir aux besoins primaires des patients (alimentation, hygiène : parfois une douche hebdomadaire, …), et ne parviennent parfois plus à dégager le temps nécessaire à leur cœur de métier : les activités thérapeutiques, et les entretiens à visée thérapeutique assuré par un IDE, un psychologue ou un médecin.
Face à la pénurie de personnel, les soignants accumulent heures supplémentaires, parfois au détriment de leur santé et au-delà du cadre légal du travail (nous avons eu connaissance de nombreux doublements de poste au-delà de la durée légale de travail autorisée ; et même une fois jusqu’à 24h d’affilée, quel professionnalisme est-il possible au-delà de 12 heures ?),
Il est demandé par la Direction aux agents toujours plus de mobilité, d’adaptabilité, de servilité et ceux-ci se retrouvent à renforcer dans des services qu’ils ne connaissent pas avec des forts ressentis d’être plus des poids qu’autre chose (application HUBLO et heures supplémentaires à foison)
Les effectifs minimums de sécurité ne sont plus discutés en instance et modifiés du jour au lendemain par la Direction en fonction de ce qui l’arrange.
Lors du CTE du 11 octobre 2022, nous avons même été sidérés d’apprendre que régulièrement la nuit, un soignant est laissé seul au 3ème étage de l’Hôpital d’Enfants (unité d’hospitalisation de pédopsy Brabois) pendant que son autre collègue va faire une évaluation aux urgences au RDC … ! Pas de problème pour la Direction puisque le collègue qui reste seul dispose d’un téléphone … !
A cela s’ajoute une réforme de la formation du diplôme infirmier qui a effacé totalement les cours et stages nécessaire à une bonne maîtrise de la psychiatrie :
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IDE 1992 : 440 h de cours psychiatrie santé mentale, stage en psychiatrie de 420 h
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IDE 2009 : 80 h de cours psychiatrie santé mentale, stage en psychiatrie de 175 h
Au CPN, la Direction a fait le constat que sur les jeunes professionnels recrutés ces 4 dernières années, 1/3 n’avaient reçu aucune formation en interne dans le cadre de leur parcours d’accueil (repérage risque suicidaire, entretien d’aide, gestion de la violence, …) Comment travailler dans ces conditions en sécurité et en qualité ?
Manque de personnel, de structures ambulatoires, de lits d’hospitalisation entraînent inévitablement usure chez les fonctionnaires encore en poste, provoquant ainsi de plus en plus de départs et, in fine, une offre de soin bien plus qu’insuffisante pour la population. Et cela, indépendamment de la proximité géographique du Luxembourg, puisque la majorité des soignants se reconvertissent dans d’autres domaines professionnels, hors soins de santé.
Les usagers qui nécessitent des soins psychiques adaptés et de qualité, ne peuvent dans ce cadre que ressentir de la frustration, ce qui peut générer une agressivité massive. Cette agressivité devient violence, envers ceux qui sont présents : les patients eux-mêmes, et les professionnels.
Les faits divers récents ne font, malheureusement, que confirmer ce triste constat …
Pour exemples :
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Début 2022, le suicide d’une jeune patiente à l’UAUP (service pour lequel la CGT demandait depuis juin 2021 des moyens supplémentaires mais surtout une enquête CHSCT avec accompagnement INRS / CARSAT … rejetée par la Direction)
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Début octobre, une jeune patiente accueillie à l’Unité A en chambre d’isolement porte ouverte, faute de lits, qui se plaint d’avoir subi des agressions sexuelles dans la nuit,
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Divers articles dans l’Est Républicain sur des agressions commises par certains auteurs bien identifiés par la psychiatrie et les forces de l’ordre …
Enfin, nous souhaitons également attirer votre attention sur la situation particulière des psychologues, question qui n’a pas été traitée puisque les discussions qui auraient pu émaner des débats concernant le projet de loi de financement de la sécurité sociale ont été rejetées. Questions spécifiques à notre profession qui, quels que soient les interlocuteurs, sont balayées d’un revers de main, tant dans notre établissement qu’auprès de nos tutelles.
Nos conditions d’exercice et notre niveau de rémunération se sont fortement dégradés, le recrutement est insuffisant, l’offre de soin également.
Et si le choix a été fait de masquer ces insuffisances subies dans la fonction publique hospitalière, par le recours aux professionnels libéraux, les conditions actuelles (dispositif « Monpsy ») ne peuvent satisfaire ni la profession, ni les citoyens. Ce dispositif a par ailleurs été largement boycotté par les psychologues puisque le nombre de psychologues conventionnés se situerait en deçà des 5% de praticiens.
La situation hospitalière actuelle nous inquiète fortement, nous professionnels de santé, et ce, quelle que soit notre formation. C’est pourquoi, nous vous interpelons, une fois de plus, si besoin était, Monsieur le ministre de la Santé.
Il y a urgence à changer de cap pour restaurer une vraie psychiatrie publique humaniste.
Pour le bureau syndical
Cédric ROUX, Virginie TOUNKARA et Emmanuel FLACHAT